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mercredi 23 novembre 2011

Modèle thérapeutique de T.NATHAN : comment aider les victimes de sectes

" Longtemps après avoir quitté le groupe, définitivement rompu tout lien avec l'organisation, les personnes ne parviennent pas à extraire la secte du centre de leurs pensées. Malgré les efforts pour s'intégrer, entreprendre de nouveaux projets, les ex-adeptes traversent des périodes de grande fatigue durant lesquelles ils se découvrent cette même fragilité. Il suffit alors d'un rien pour qu'explose la colère, surgisse l'angoisse et s'installe à nouveau la confusion du quotidien, venant leur rappeler qu'un noyau a été touché dans leur être.".
 Nathan et Swertavaegher, Aide psychologique aux ex-adeptes de sectes : l'exemple d'une démarche ethnopsychiatrique, 2002.
Ces chercheurs se sont heurtés à une population qu'ils ne connaissaient pas, et n'imaginaient pas découvrir ce qu'ils y ont découvert.
Entre 1998 et 2002, ils ont reçu au centre G. Devereux plus de 50 profils différents d'ex-adeptes de secte, 90 sujets au total.
Ils disent avoir dû faire tomber leurs préjugés. Ils ne devaient plus seulement se centrer sur le discours de l'ex-adepte, comme il est coutume de le faire dans la démarche clinique, mais s'intéresser de très près à chacune des croyances des personnes en difficulté psychologique. En effet, selon eux,  il est très difficile d'aider un ex-adepte sans connaître les dogmes sur lesquels reposent sa culpabilité, sa honte, ses peurs, son envie d'y retourner...
Il faut le rejoindre dans son histoire, ne pas avoir peur de s'en imprégner.
La première chose qu'ils notent est que ces personnes ont vécu quelque chose "hors du commun", et qu'ils ont dû développer des formes de souffrances psychologiques particulières. Par conséquence, le dispositif d'aide se devait d'y être adapté. C'est l'approche centrale de l'ethnopsychiatrie.
Ils ont donc crée un cadre thérapeutique particulier, qui prenne en compte la dimension du groupe sectaire, non pas, comme étant un groupe imaginaire mais bien réel, et actif.
En effet, beaucoup de psychologues, psychiatres etc...mésestiment l'impact du groupe sur l'individu, ne se centrant que sur l'individu. Hors, pour que l'adepte existe, le groupe doit être considéré comme une entité à part entière. L'adepte dans son groupe est en perpétuelle interaction avec celui-ci, et l'un existe par la présence de l'autre.
Il a été remarqué par les chercheurs ci-dessus, ainsi que par les associations d'aide aux victimes de sectes que ces personnes là ont beaucoup de mal à entamer une démarche thérapeutique, à entrer dans un cadre psychothérapeutique.
Ayant été abusé une première fois et en état de grande vulnérabilité, il reste la peur de s'en remettre à une personne "qui de toutes manières, ne pourra comprendre ce que je vis...", d'où l'intérêt pour l'accompagnant de connaître et comprendre le cadre religieux de l'adepte ainsi que ses croyances personnelles.
Le concept de  "Vérité" revient dans quasi tous les discours de sortants de sectes, quelque soit le mouvement. Et cette notion de Vérité devra être prise en compte dans la compréhension de ce qui se joue pour le sujet mais aussi dans l'interaction thérapeutique. Celle-ci est centrale, omniprésente. Quelle est cette vérité que le sujet détenait jusqu'alors, et qu'il a maintenant si peur de perdre?
Le but de la thérapie sera donc de permettre à l'ex-adepte "d'accéder à ses propres capacités de jugement",de l'aider à faire  un pas de côté...de voir, avec lui, ce qu'il y a de comparable ou de dissemblables ailleurs, de démonter doucement "l'intelligence" du système, tout comme le groupe sectaire a lui-même "monté" le dogme autour du sujet. 
Pour cela, il faudra peut être analyser un dogme après l'autre, comprendre sa raison d'être, et surtout...sa relativité. Hors du système sectaire, que vaut-il? As-t-il toujours un sens? Pourquoi les papous de papouazie agissent différemment et sont heureux? Pourquoi telle religion ayant elle aussi ses dogmes, agirait de manière plus souple? Depuis quand le groupe existe? Qui  le dirige? Il faudra certainement aider, accompagner l'ex-adepte dans cette démarche, car pour lui, fouiller les fondements de son mouvement peut s'apparenter à une double trahison. Il en est d'une part sorti, mais en plus, il tente d'en trouver les failles. Selon les mouvements, il s'agit d'apostasie, le pire des péchés pour un adepte membre d'une secte millénariste.
Mais cela ne suffit pas, T. NATHAN (2003) remarquera que même en sachant que le groupe auquel ils ont appartenu était une secte, les sujets continuent de regretter une partie de leur ancienne vie. C'est  "l'intensité d'une sorte de lien social", le lien au groupe qui est un  manque terrible. MAES (2002), compare ce manque au manque addictif, et à divers égard les symptômes sont similaires.
Les croyances intégrées durant toute la durée de l'embrigadement, ne disparaissent pas d'un simple coup de baguette magique, même si la personne sait que tout est faux....Il reste l'empreinte. L'empreinte d'énoncés, de règles, de versets  tambourinés pendant des années, tous les jours!  Il s'agit d'un véritable apprentissage conditionné.
Ne trouvant de place, ni dans leur nouvelle vie, ni dans l'ancienne, l'envie d'y retourner reste tenace : "Je sais que cela fait mal, mais au moins je sais où je suis...le monde dans lequel j'entre ne me comprendra pas, est dangereux, bien plus que de là où je viens..."
" Les sentiments des sortants de sectes
   Sentiment dépressif avec quelques constantes : 
  •   Arrêt de la pensée, leur interdisant de comprendre ce qui leur est arrivé, de construire de nouveaux projets de vie..
  •   Sentiment d'avoir perdu une part importante de leur vitalité dans la secte : sensation de solitude profonde et constante isolée, sans affiliation fonctionnelle, sans goût à la relation.
  • Ils ne parviennent plus à faire la distinction entre leur propres pensées et celles inculquées par la secte. 
 Aide thérapeutique, schéma d'intervention : 
- Parasitage : la secte laisse des traces, même lorsque la personne en est sortie depuis longtemps.
- Asthénie : la perte de goût à la vie est constante, il n'y a plus d'intérêt à entreprendre des activités  x ou y .. 
  • Déconstruction : T. NATHAN parle de déconstruire les attaches encore existantes.  C'est là que l'on entre dans le récit de vie de la personne et qu'il est possible de l'accompagner dans cette déconstruction (par les questions plus haut invalidant la théorie de la vérité unique et la supprématie de la tête pensante du groupe) La difficulté vient du fait que "cette vérité" s'est infiltrée très profondément dans le coeur des personnes.
  • Expliciter l'intentionnalité cachée du mouvement, en examinant dans le détail la stratégie qui sous-tend la fabrication des dogmes, rites..
  • Prendre au sérieux l'intention du groupe sectaire de modifier les personnes.         Examiner les théories développées au sein du groupe, même si elles paraissent non pertinentes, et les considérer comme indépendantes (objets parasites) du sujet, sachant  qu'il est possible de s'en défaire.                                                                                        
  • Reconstruire avec le sujet les différentes théories à partir desquelles il a été pensé par le passé.
1. Traiter les événements traumatiques
2.Rendre apparent les mécanismes de fonctionnement des groupes dans lesquels les personnes ont été plongées.
3. Identifier les intentionnalités à l'oeuvre dans les groupes.
4. Rechercher les traces parasites continuant à agiter au coeur du fonctionnemetn psychique des personnes.
5. Partir à la recherche des attachements antérieurs (familiaux, culturels, idéologiques...)
6. Permettre à la personne d'élaborer de nouvelles modalités d'être.
Selon certains cliniciens l'adhésion à une secte serait comparable à une addiction, ce qui à mon sens n'est pas faux et qui se retrouve dans le sentiment de manque que le sujet éprouve depuis sa sortie et longtemps après. Cependant, je ne suis pas certaine que l'on puisse aider un sortant de secte de la même manière qu'une personne ayant une addiction comportementale. 
Les ex-adeptes ayant réussi à sortir  de l'engrenage de la peur de l'autre, de la solitude omniprésente, des pensées ruminantes, et qui parviennent à avoir un certain recul sur leur cheminement personnel disent avoir dû faire un pas vers l'autre, s'être astreint à sortir, même lorsqu'ils n'en avaient pas envie...
Pour le traitement des addictions, certains préconisent l'ajout de petits plaisirs dans la vie de la personnes (Lançon C). Le but n'est pas d' enlever, d'extraire l'addiction d'un seul coup, étant donné que cette dernière prend toute la vie du sujet. On demande à la personne de choisir un plaisir, un seul,  et de le pratiquer pendant quelques temps...Lorsqu'en fin la personne éprouve du plaisir à cette activité,on introduit un deuxième plaisir....et ainsi de suite. La vie de la personne ne tourne plus autour de son addiction,( le plaisir étant partagé entre plusieurs activités), et elle peut à nouveau imaginer  recréer un lien à l'autre, peut se réinsérer, et de là elle pourra reprendre confiance en elle.
Ainsi, progressivement le sujet sera plus à même de se détacher de son addiction principale.
S.T
MAES,  « La « chose » sectaire » , Psychothérapies, 2002/3 Vol. 22, p. 175-188. DOI : 10.3917/psys.023.0175 
NATHAN, T. Sortir d'une secte, Les empêcheurs de tourner en rond, Paris : Le Seuil, 2003